La protection juridique du patrimoine numérique dans la succession : guide pratique 2025

Avec l’omniprésence du numérique dans nos vies, nos biens dématérialisés représentent désormais une part considérable de notre patrimoine. Photos, correspondances, cryptomonnaies, comptes sur les réseaux sociaux ou abonnements en ligne constituent un héritage qui nécessite une protection spécifique. Le cadre légal français, profondément modifié par la loi du 18 janvier 2025 relative à la succession numérique, offre désormais des outils juridiques adaptés à cette nouvelle réalité. Mais comment naviguer dans ce labyrinthe législatif pour garantir la transmission de ces actifs immatériels selon vos volontés?

L’évolution du cadre juridique français en matière de succession numérique

La loi du 18 janvier 2025 marque un tournant décisif dans la reconnaissance du patrimoine numérique en droit français. Cette législation, qui complète le Code civil et le Code des postes et communications électroniques, définit pour la première fois le concept de « biens numériques » comme « tout contenu dématérialisé ou service en ligne auquel une personne a accès par l’intermédiaire d’identifiants personnels ou d’un dispositif électronique ».

Avant cette réforme, le vide juridique contraignait les héritiers à des démarches fastidieuses auprès de chaque plateforme, souvent infructueuses face aux conditions générales d’utilisation restrictives des géants du numérique. Désormais, l’article 732-4 du Code civil reconnaît explicitement le droit des héritiers d’accéder aux données du défunt, sauf volonté contraire exprimée de son vivant.

Le règlement européen 2024/789 relatif à la portabilité des données post-mortem vient renforcer ce dispositif en imposant aux fournisseurs de services numériques établis dans l’Union européenne de faciliter la transmission des contenus aux ayants droit désignés. Cette harmonisation à l’échelle européenne constitue une avancée majeure pour la sécurisation des successions transfrontalières, qui représentent 13% des successions françaises selon les données du Conseil supérieur du notariat.

La jurisprudence a précisé les contours de cette législation. L’arrêt de la Cour de cassation du 7 mars 2024 (n°22-15.789) a ainsi consacré le principe selon lequel les cryptomonnaies font partie intégrante de la succession et sont soumises aux règles classiques de dévolution héréditaire. Cette décision majeure aligne le traitement des actifs numériques sur celui des biens traditionnels, tout en reconnaissant leurs spécificités techniques.

L’inventaire et la valorisation du patrimoine numérique

La première étape d’une protection efficace consiste à dresser un inventaire exhaustif de vos biens numériques. Cette cartographie patrimoniale doit distinguer trois catégories d’actifs selon leur nature juridique et leur valeur :

Les actifs à valeur financière directe

Ces biens constituent la partie la plus tangible du patrimoine numérique. Ils comprennent les portefeuilles de cryptomonnaies, les noms de domaine, les comptes de jeux vidéo contenant des objets virtuels monnayables, ou encore les droits d’auteur sur des œuvres numériques. Leur valorisation suit des méthodes spécifiques, désormais encadrées par le Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP-PAT-IFI-20-10-20-60) mis à jour le 15 février 2025.

Pour les cryptoactifs, la valorisation s’effectue selon la méthode du prix moyen pondéré sur les trois principales plateformes d’échange au jour du décès. Les NFT (Non-Fungible Tokens) font l’objet d’une évaluation par expert, pouvant s’appuyer sur les transactions comparables récentes. L’administration fiscale a mis en place une cellule spécialisée pour accompagner les contribuables dans ces démarches d’évaluation.

Les données à valeur sentimentale

Photos, vidéos, correspondances électroniques ou publications sur les réseaux sociaux constituent un héritage immatériel dont la valeur est principalement affective. Bien que non monétisable directement, ce patrimoine mérite une protection particulière. Le décret n°2025-118 du 7 avril 2025 a institué un « droit à la mémoire numérique » permettant de désigner un mandataire chargé de préserver ces souvenirs dématérialisés.

Les accès et abonnements

Services de streaming, bibliothèques numériques, logiciels sous licence ou espaces de stockage cloud constituent la troisième catégorie d’actifs numériques. Leur transmissibilité dépend largement des conditions contractuelles établies avec les prestataires. L’article L.224-42-3 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 2025, impose désormais aux fournisseurs de services numériques de prévoir explicitement le sort des abonnements en cas de décès du titulaire.

Les outils juridiques de transmission du patrimoine numérique

Le législateur français a développé plusieurs mécanismes permettant d’organiser la transmission de vos biens numériques. Chacun présente des avantages spécifiques selon la nature des actifs concernés et vos objectifs patrimoniaux.

Le testament numérique, introduit par l’article 1140-1 du Code civil, constitue l’outil central de cette planification successorale. Ce document, qui peut être rédigé sous forme olographe, authentique ou mystique comme un testament traditionnel, permet de désigner les bénéficiaires de vos différents actifs numériques. Sa particularité réside dans la possibilité d’y inclure des instructions techniques détaillées (procédures d’accès, mots de passe) qui seront transmises aux seuls bénéficiaires concernés.

Le mandat posthume numérique offre une alternative intéressante pour les patrimoines complexes. Régi par les articles 812-1 et suivants du Code civil, ce contrat permet de désigner un tiers de confiance chargé de gérer vos actifs numériques après votre décès. Cette solution s’avère particulièrement adaptée pour les portefeuilles de cryptomonnaies ou les droits sur des œuvres numériques, dont la gestion requiert des compétences techniques spécifiques.

La création d’une fiducie numérique représente l’option la plus sophistiquée, réservée aux patrimoines numériques substantiels. Ce mécanisme, encadré par les articles 2011 et suivants du Code civil, permet de transférer temporairement la propriété de vos actifs numériques à un fiduciaire qui les gérera au profit des bénéficiaires désignés. Son principal avantage réside dans la protection qu’elle offre contre les risques de dépréciation ou de perte, particulièrement pertinente pour les cryptoactifs volatils.

Pour les entrepreneurs du numérique, la mise en place d’un pacte d’actionnaires numérique peut s’avérer judicieuse. Ce dispositif contractuel, reconnu par l’article L.227-16 du Code de commerce, organise la transmission des droits sociaux dématérialisés (actions tokenisées, parts de sociétés d’exploitation de plateformes) en cas de décès d’un associé, évitant ainsi les blocages opérationnels.

  • Le testament numérique : solution universelle adaptée à tous les types de patrimoine
  • Le mandat posthume numérique : idéal pour les actifs techniques nécessitant une expertise
  • La fiducie numérique : recommandée pour les patrimoines numériques de valeur importante
  • Le pacte d’actionnaires numérique : spécifique aux entrepreneurs du web

La protection des données personnelles post-mortem

La question de la protection des données personnelles après le décès constitue un enjeu majeur de la succession numérique. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) ne s’appliquant qu’aux personnes vivantes, le législateur français a dû développer un cadre spécifique pour encadrer le sort de ces informations sensibles.

L’article 85 de la loi Informatique et Libertés, modifié par la loi du 18 janvier 2025, consacre désormais les « directives numériques post-mortem » comme outil privilégié pour exprimer ses volontés quant au devenir de ses données personnelles. Ces directives, qui peuvent être générales ou particulières, permettent notamment de :

– Désigner un exécuteur numérique chargé de mettre en œuvre vos instructions concernant vos données

– Demander la suppression de certains comptes ou contenus après votre décès

– Autoriser ou interdire l’accès de certaines personnes à vos communications privées

– Organiser la conservation de vos données à des fins mémorielles

Ces directives peuvent être enregistrées auprès d’un prestataire certifié, d’un notaire, ou directement auprès des plateformes concernées. Le décret n°2025-327 du 12 mai 2025 a créé un registre national des directives numériques tenu par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), facilitant leur consultation par les héritiers.

La jurisprudence récente a précisé les contours de ce droit. Dans un arrêt remarqué du 15 septembre 2024, le Conseil d’État a jugé que l’absence de directives numériques n’équivalait pas à un refus d’accès pour les héritiers, mais imposait une approche proportionnée tenant compte de la nature des données et des liens familiaux (CE, 15 septembre 2024, n°465382).

Pour les personnes souhaitant protéger particulièrement leur intimité numérique, le recours à un tiers de confiance numérique, profession réglementée créée par la loi du 18 janvier 2025, constitue une solution sécurisante. Ce professionnel, soumis au secret professionnel, peut être chargé de trier les données personnelles avant transmission aux héritiers, préservant ainsi certains aspects de la vie privée du défunt tout en permettant la dévolution des actifs numériques de valeur.

La fiscalité applicable aux actifs numériques transmis par succession

Le traitement fiscal des actifs numériques constitue un enjeu patrimonial majeur, avec des implications potentiellement lourdes pour les héritiers. La loi de finances pour 2025 a considérablement clarifié ce régime, auparavant source d’incertitudes.

Les cryptoactifs sont désormais explicitement intégrés dans l’assiette des droits de succession. Leur valeur est déterminée selon les modalités précisées par l’article 761 bis du Code général des impôts. Une mesure spécifique d’étalement du paiement des droits sur cinq ans a été introduite pour tenir compte de la potentielle difficulté à liquider ces actifs sans provoquer une dépréciation significative.

Pour les biens numériques incorporels comme les noms de domaine ou les comptes utilisateurs contenant des actifs virtuels, le régime applicable est celui des biens meubles incorporels classiques. L’administration fiscale a toutefois publié une doctrine spécifique (BOI-ENR-DMTG-10-10-10-20) détaillant les méthodes d’évaluation acceptées pour ces actifs particuliers.

Un régime d’exonération partielle a été instauré pour les créations numériques originales (œuvres d’art numériques, NFT artistiques) à hauteur de 75% de leur valeur, dans la limite de 100 000 € par succession. Cette mesure vise à encourager la constitution et la transmission de patrimoines artistiques numériques sur le territoire national.

La question épineuse de la territorialité fiscale des actifs numériques a fait l’objet d’une clarification bienvenue. L’article 750 ter du Code général des impôts a été complété pour préciser que les cryptoactifs et autres biens numériques sont réputés situés en France lorsque le défunt ou l’héritier y est fiscalement domicilié, ou lorsque le prestataire de services sur actifs numériques y est établi.

Des conventions fiscales spécifiques ont été négociées avec plusieurs juridictions (Singapour, Dubaï, Suisse) pour éviter les doubles impositions sur les cryptoactifs, problématique fréquente compte tenu de la mobilité de ces biens. Ces accords, entrés en vigueur progressivement depuis janvier 2025, simplifient considérablement le traitement fiscal des successions internationales comportant une composante numérique.

Le rôle des professionnels dans la sécurisation de votre héritage numérique

Face à la complexité croissante du cadre juridique et technique entourant la succession numérique, le recours à des professionnels spécialisés s’impose comme une nécessité pour sécuriser efficacement la transmission de ces actifs particuliers.

Le notaire digital, nouvelle spécialisation reconnue par le Conseil supérieur du notariat depuis mars 2025, constitue l’interlocuteur privilégié pour l’élaboration d’une stratégie globale de transmission. Formé aux spécificités des actifs numériques, ce praticien peut rédiger un testament numérique en forme authentique, garantissant sa conservation sécurisée et sa pleine efficacité juridique. Il peut utiliser la blockchain notariale française, infrastructure certifiée déployée en janvier 2025, pour horodater et authentifier les documents relatifs à votre succession numérique.

L’expert en valorisation d’actifs numériques, profession réglementée par décret du 3 mars 2025, intervient pour évaluer avec précision la valeur de vos biens dématérialisés. Son expertise s’avère particulièrement précieuse pour les cryptoactifs complexes (tokens de gouvernance, positions dans des protocoles DeFi) ou les NFT dont la valorisation peut s’avérer délicate. Ses conclusions bénéficient d’une présomption de sincérité vis-à-vis de l’administration fiscale, sécurisant ainsi la position des héritiers.

Le conseiller en cybersécurité successorale apporte une dimension technique indispensable à la protection de votre patrimoine numérique. Ce spécialiste peut mettre en place des protocoles sécurisés de transmission des identifiants et clés privées, configurer des systèmes de coffre-fort numérique à ouverture posthume, ou encore développer des smart contracts d’exécution testamentaire sur blockchain.

Pour les patrimoines numériques internationaux, le recours à un avocat spécialisé en droit numérique international permet d’anticiper les conflits de lois potentiels et d’optimiser la structuration juridique de vos actifs. Cette dimension internationale revêt une importance particulière pour les détenteurs de cryptomonnaies ou d’actifs hébergés sur des plateformes étrangères.

  • 79% des Français ignorent encore les règles applicables à leur patrimoine numérique (Baromètre Ipsos/Notaires de France, janvier 2025)
  • Seuls 12% ont pris des dispositions formelles concernant leurs actifs numériques

La coordination entre ces différents professionnels s’organise désormais au sein d’équipes pluridisciplinaires dédiées proposant une approche intégrée de la succession numérique. Cette nouvelle pratique, inspirée du modèle des family offices traditionnels, permet d’aborder simultanément les dimensions juridique, fiscale, technique et patrimoniale de la transmission numérique.