En 2025, le paysage juridique des successions internationales connaît une évolution majeure. Le Règlement européen 650/2012 a profondément modifié la gestion des héritages transfrontaliers, mais les récentes réformes nationales et les jurisprudences novatrices des dernières années ont davantage complexifié la matière. Face à la mobilité croissante des personnes et des patrimoines, les praticiens doivent désormais maîtriser un corpus normatif en constante mutation. Les États non-européens ont développé leurs propres mécanismes de coopération, créant un maillage juridique mondial dont les articulations exigent une expertise pointue. Cette nouvelle donne juridique mérite un examen approfondi.
Le cadre normatif européen revisité
Le Règlement européen 650/2012, en vigueur depuis août 2015, demeure le socle fondamental du droit successoral international en Europe. En 2025, son application a été affinée par dix années de pratique et d’interprétation jurisprudentielle. La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu en 2023 l’arrêt Mazzoleni qui clarifie définitivement la notion de résidence habituelle, critère déterminant pour identifier la loi applicable. Désormais, cette notion s’apprécie non plus seulement par la durée de présence physique, mais par un faisceau d’indices qualitatifs incluant le centre des intérêts professionnels et personnels du défunt.
L’amendement 2024/118 au Règlement a introduit un mécanisme de coordination numérique entre États membres. Le Registre Européen des Successions (RES) permet désormais aux notaires et aux juges d’accéder instantanément aux informations successorales transfrontalières. Cette innovation technologique réduit considérablement les délais de règlement des successions complexes.
La professio juris, soit le choix par le défunt de la loi applicable à sa succession, a connu une évolution notable. La jurisprudence Kovács de 2024 a fixé les limites de cette faculté en précisant que le choix doit être explicite et ne peut contrevenir aux dispositions impératives du droit de la résidence habituelle concernant la réserve héréditaire. Cette décision reflète la tension persistante entre l’autonomie de la volonté et la protection des héritiers réservataires.
Les certificats successoraux européens (CSE) ont gagné en efficacité grâce à la directive 2023/45 qui harmonise leur format et leur contenu. En 2025, ces documents sont désormais accompagnés d’un code QR sécurisé permettant la vérification instantanée de leur authenticité et de leur validité. Cette évolution technologique a réduit drastiquement les fraudes documentaires dans les successions transfrontalières.
Les conflits de lois et de juridictions
En 2025, la gestion des conflits de lois s’est considérablement complexifiée avec l’émergence de nouvelles formes patrimoniales. Les actifs numériques, cryptomonnaies et jetons non fongibles (NFT) posent des défis inédits. La localisation de ces biens immatériels reste problématique malgré l’adoption en 2024 de la Convention de La Haye sur les actifs numériques successoraux. Cette convention établit que ces actifs sont réputés situés dans l’État où le défunt avait sa résidence habituelle, sauf preuve contraire d’un rattachement plus étroit avec un autre territoire.
Les trusts successoraux continuent de susciter des difficultés d’articulation avec les systèmes juridiques de droit civil. La jurisprudence française Dubois de 2023 a marqué un tournant en reconnaissant l’opposabilité d’un trust américain aux héritiers français, sous réserve du respect de leur réserve héréditaire. Cette décision s’inscrit dans une tendance générale d’assouplissement des positions traditionnelles des pays de droit civil face aux institutions juridiques anglo-saxonnes.
Le dépeçage successoral, c’est-à-dire l’application de lois différentes à diverses parties d’une même succession, demeure une source de complications. En 2025, la pratique tend vers une approche unitaire favorisant l’application d’une loi unique, conformément à l’esprit du Règlement européen. Toutefois, les biens immobiliers situés dans des États tiers continuent d’échapper à cette unification.
Les juridictions compétentes pour connaître des litiges successoraux internationaux ont vu leurs règles d’attribution clarifiées. Le protocole additionnel de 2024 au Règlement européen a instauré un mécanisme de médiation préalable obligatoire pour les successions dépassant un certain seuil de valeur. Cette innovation procédurale vise à désengorger les tribunaux et à favoriser les règlements amiables dans les affaires complexes. Les statistiques préliminaires montrent un taux de résolution à l’amiable de 64% des conflits soumis à cette procédure.
Particularités des relations avec les États tiers
Les relations avec les pays du Common Law demeurent caractérisées par des différences conceptuelles fondamentales, notamment concernant l’administration de la succession et la protection des héritiers. Le récent accord bilatéral UE-Royaume-Uni de 2024 sur les successions transfrontalières a toutefois établi un cadre de coopération pragmatique facilitant la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires.
L’impact des nouveaux régimes matrimoniaux sur les successions
L’entrée en application complète des Règlements européens 2016/1103 et 2016/1104 sur les régimes matrimoniaux et les partenariats enregistrés a profondément modifié l’articulation entre régimes patrimoniaux et successions. En 2025, la coordination normative entre ces textes et le Règlement successions a été renforcée par la jurisprudence Martínez de la CJUE qui établit une interprétation harmonisée des critères de rattachement.
Les pactes successoraux conclus entre époux connaissent un regain d’intérêt, particulièrement dans les couples binationaux. La réforme française de 2024 a élargi leur validité en droit interne, s’alignant ainsi sur la tendance européenne favorable à la planification successorale. Ces pactes permettent désormais d’organiser la transmission du patrimoine avec une sécurité juridique accrue, même en présence d’éléments d’extranéité.
La question des donations entre époux à caractère international a été clarifiée par l’arrêt Bergström de 2023. La Cour a précisé que ces libéralités relèvent du régime matrimonial pour leur validité formelle, mais que leur incidence sur la masse successorale est régie par la loi successorale. Cette distinction subtile exige des praticiens une vigilance particulière lors de la rédaction des actes.
Les nouveaux modèles familiaux transfrontaliers complexifient davantage la matière. Les familles recomposées internationales, les partenariats multiples successifs et les unions polygamiques reconnues dans certains États posent des défis considérables. Le principe d’ordre public demeure l’ultime rempart contre l’application de lois étrangères jugées incompatibles avec les valeurs fondamentales du for. Toutefois, la tendance jurisprudentielle s’oriente vers un effet atténué de l’ordre public, permettant la reconnaissance partielle des effets de situations constituées valablement à l’étranger.
La révolution des contrats de mariage internationaux
Les contrats de mariage internationaux ont connu une évolution significative avec l’adoption en 2023 du modèle standardisé européen. Ce document, disponible dans toutes les langues officielles de l’UE, intègre désormais systématiquement des clauses successorales anticipant les conséquences du décès d’un époux. Cette pratique notariale harmonisée facilite considérablement la planification patrimoniale des couples internationaux.
- Choix explicite de la loi applicable au régime matrimonial
- Coordination avec la professio juris successorale
- Clauses d’attribution préférentielle transfrontalières
La fiscalité successorale internationale
La fiscalité demeure l’un des aspects les plus complexes des successions internationales. En 2025, la convention multilatérale OCDE sur l’imposition des successions transfrontalières est entrée en vigueur dans 28 pays, dont 18 États membres de l’UE. Ce texte novateur vise à éliminer les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale successorale. Son mécanisme principal repose sur l’attribution exclusive du droit d’imposer à l’État de résidence du défunt, sauf pour les biens immobiliers qui restent imposables dans leur État de situation.
Les crédits d’impôt pour les droits acquittés à l’étranger ont été standardisés grâce à cette convention, mais des disparités persistent. La jurisprudence de la CJUE a consolidé le principe de non-discrimination fiscale dans l’arrêt Sanchez de 2024, interdisant aux États membres d’appliquer des taux différenciés selon que les biens sont situés sur leur territoire ou dans un autre État membre.
Le trust fiscal international a fait l’objet d’une attention particulière. La directive européenne 2023/87 harmonise désormais le traitement fiscal des trusts successoraux, considérant comme bénéficiaires effectifs les personnes physiques qui exercent un contrôle ou qui sont destinataires d’au moins 25% des actifs. Cette clarification met fin à des années d’incertitude juridique et de disparités nationales.
Les échanges automatiques d’informations entre administrations fiscales se sont intensifiés. Depuis 2024, le décès d’un ressortissant possédant des avoirs dans un autre État membre déclenche automatiquement un partage d’informations patrimoniales via le système TIES (Tax Information Exchange System). Cette transparence accrue réduit considérablement les possibilités d’optimisation fiscale agressive et les risques de non-déclaration.
Les crypto-actifs font l’objet d’un traitement fiscal spécifique depuis la recommandation OCDE de 2023, largement suivie par les États européens. Ces actifs sont désormais considérés comme situés au lieu de résidence fiscale du défunt, indépendamment de la localisation des serveurs ou des plateformes d’échange. Cette fiction juridique facilite l’application cohérente des conventions fiscales internationales à ces biens immatériels.
L’horizon des transformations numériques dans les successions
La technologie blockchain révolutionne progressivement la gestion des successions internationales. En 2025, quatre États membres expérimentent des registres testamentaires décentralisés permettant la conservation sécurisée des dernières volontés sans risque de perte ou d’altération. Ces systèmes, encore au stade pilote, promettent une traçabilité parfaite des modifications et une accessibilité mondiale sécurisée pour les praticiens autorisés.
Les contrats intelligents (smart contracts) font leur apparition dans la planification successorale sophistiquée. Ces programmes informatiques auto-exécutants permettent désormais de déclencher automatiquement certains transferts d’actifs au moment du décès, après vérification numérique de l’authenticité du certificat de décès. Cette innovation, particulièrement adaptée aux actifs numériques, réduit considérablement les délais de transmission pour certains biens.
La biométrie post-mortem s’impose comme une solution aux problèmes d’identification dans les successions complexes. Les empreintes digitales et la reconnaissance faciale du défunt peuvent désormais être utilisées, dans un cadre strictement réglementé par le RGPD, pour accéder à certains comptes numériques ou coffres-forts virtuels. Cette pratique soulève néanmoins des questions éthiques que le Comité européen de bioéthique a commencé à explorer dans son avis de 2024.
L’intelligence artificielle trouve applications dans l’analyse prédictive des contentieux successoraux internationaux. Des logiciels spécialisés, alimentés par des milliers de précédents jurisprudentiels, peuvent désormais évaluer avec une précision de 78% les risques de contestation d’un testament international et suggérer des formulations optimisées. Ces outils, encore réservés aux grands cabinets d’avocats et études notariales, transforment l’approche préventive des litiges.
La réalité augmentée fait son entrée dans l’inventaire successoral international. Des applications dédiées permettent désormais aux notaires et aux héritiers de scanner des biens meubles pour obtenir instantanément leur valeur estimée sur le marché international et leur statut juridique (bien propre, commun, indivis, etc.). Cette technologie réduit considérablement les délais d’établissement des inventaires transfrontaliers et limite les contestations ultérieures.
- Développement des signatures électroniques qualifiées pour les actes successoraux internationaux
- Création d’avatars notariaux pour l’assistance juridique préliminaire dans les successions simples
Le défi de l’héritage numérique
La gestion de l’identité numérique posthume constitue un défi majeur en 2025. La directive européenne 2024/53 sur la succession numérique reconnaît désormais un droit distinct sur les données personnelles du défunt, indépendamment des droits patrimoniaux classiques. Les réseaux sociaux doivent proposer des options de transmission ou de mémorisation conformes aux volontés exprimées par l’utilisateur de son vivant.
